29/04/2011

Janus / Alastair Reynolds

Enfin ! Enfin un mastodonte de space opera dont on ne veut rien retirer ! Mieux, on serait même prêt à jouer les prolongations en ce qui le concerne. Depuis Spin de Robert Charles Wilson, je n'avais pas éprouvé autant de jubilation, oui, de jubilation, à lire un roman de sience-fiction. Si La Guerre tranquille de Paul J. McAuley ne manquait pas de qualités ni d'intérêt, Janus joue quant à lui dans une catégorie supérieure. Là, n'ayons pas peur des mots on a affaire à un véritable chef-d'oeuvre.

J'aurais très bien pu passer à côté du livre. A deux reprises, j'ai tenté de lire l'Espace de la révélation d'Alastair Reynolds. Sans succès. Je m'en suis d'ailleurs expliqué ici. Puis, après avoir raccroché du costume, alors très éloigné de la blogosphère pour m'adonner à d'autres aventures qui n'ont pas fini de titiller mes neurones au point de hisser la patience au rang de seconde nature, j'ai aussi lu et apprécié la Pluie du siècle, le considérant comme un bon divertissement, mais sans plus. Un pavé idéal à lire pendant les vacances dans la chaise longue du jardin de la tante Prunille ou à la piscine tout en préservant une distance respectable des éclaboussures intempestives émanant des aficionados de la Bombe.

Avec Janus, Alastair Reynolds fait voler en éclat toutes les étiquettes. Peu importe qu'il s'agisse de SF, de Hard SF, de Speculative Fiction ou Toutcequevousvoudrez Fiction. Seule l'histoire importe ici. Et le lecteur que je suis s'est pris dans les mailles de celle-ci avec une délectation rare.

Des pousseurs de glace. C'est ainsi que s'appellent entre eux les membres de l'équipage du Rockhopper. Leur rôle consiste à exploiter la glace des comètes du système solaire. Pourtant, en 2057, alors qu'ils sont en pleine mission, leurs prérogatives se voient tout à coup chamboulées en raison d'un événement pour le moins singulier : Janus, l'un des satellites de Saturne a quitté l'orbite de sa planète et tout porte à croire qu'il s'apprête à quitter le système solaire de manière... intentionnelle. Janus ne serait en fait rien d'autre qu'un artefact extra-terrestre. A charge pour l'équipage du Rockhopper de se lancer à sa poursuite et de l'étudier autant que faire se peut avant de revenir sur Terre. Mais rien, rien ne se passe comme prévu...

Là où il y aurait pu n'y avoir que quelques lignes pour figurer le trajet vaisseau / Janus, répondant ainsi à l'avidité du lecteur d'en savoir plus, de s'attaquer tout de suite à la découverte de la nature du satellite de Saturne, Alastair Reynolds prend le temps de camper ses personnages, de creuser dans la matière première d'une aventure prenant ses racines dans la découverte, dans l'inconnu. A nous de faire corps avec cet équipage, de l'accompagner dans ses difficultés, ses doutes et ses drames. A nous de prendre parti, de nous indigner ou de fantasmer sur les révélations qui ne manqueront pas d'éclater au grand jour ou... dans le noir et le silence insondables de l'espace.

Voilà pour la première partie. Pour la suite, ne comptez pas sur moi pour vous la dévoiler. Sachez juste qu'elle va au-delà de toutes les attentes, même les plus folles. Pour cela, Alastair Reynolds combine de façon magistrale l'aspect scientifique, la psychologie des personnages et l'histoire sans jamais abandonner son lecteur en cours de route ni le noyer sous le feu de détails trop techniques et obscurs. Ici, le superflu n'a pas sa place. Rythmé, ponctué de temps forts, d'une imagination ô combien débordante et réjouissante, Janus est Le livre de science-fiction qu'il faut lire et faire lire cette année. A l'instar des plus marquantes des œuvres de Robert Charles Wilson que je citais au début de cette chronique, il fait la part belle à une délicate humanité, toujours en quête de sens.
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20/04/2011

Kolyma / Tom Rob Smith

Après avoir restitué d'une manière plus que saisissante l'oppression de la dictature stalinienne dans Enfant 44, Tom Rob Smith fait à nouveau virevolter une page marquante de l'Histoire russe. A l'heure où débute Kolyma, le petit père des peuples est mort. Krouchtchev lui succède en amorçant sa politique de déstanilisation, marquant ainsi une transition qui ne s'opère pas sans remous.

C'est dans ce contexte que l'on retrouve Leo Damidov et son épouse Raisa. Pas question pour eux de faire table rase du passé, quand bien même ils le souhaiteraient seulement. Ce passé, ils le vivent au jour le jour, par l'intermédiaire de leurs souvenirs, pas toujours reluisants, mais aussi par la présence des deux filles qu'ils ont adoptés. Leurs parents ont péri à la suite d'une arrestation orchestrée par Leo lui-même. Zoya, l'aînée, adolescente, n'oublie pas, se promet de ne pas oublier leur sort ni celui qui en est à l'origine. L'air d'une vengeance étouffée ne demande qu'à s'exhaler. A l'image de celui soufflant en Russie à l'heure où les goulags se vident et où les rancœurs se révèlent au grand jour. A l'image aussi des intimidations et des meurtres perpétrés sur d'anciens membres des services secrets qui ne manquent pas de projeter Leo au cœur d'une vengeance dont il pourrait être la cible principale.

Pour un deuxième ouvrage, une suite qui plus est, on n'échappe pas à la comparaison. Car après l'engouement suscité par Enfant 44, l'attente ainsi qu'un soupçon de crainte sont là ? Sera-t-il aussi bien ? Est-ce seulement possible à partir du moment où les personnages nous sont connus et qu'un des effets, la surprise de la découverte d'un univers, de sa mise en mots, ne sera de mise ? En ce qui me concerne, j'avoue avoir un peu moins apprécié Kolyma. Un peu seulement, c'est important. Et encore, pour des raisons que j'ai bien du mal à définir et que je veux bien imputer à la subjectivité.

- Pirouette
- Hein ?
- Tout ça, c'est de la pirouette pour ne pas avoir à argumenter tant et plus. Tout ça pour ne pas avoir à écrire un billet trop long, billet dont la taille pourrait repousser des lecteurs potentiels.
- Ben voyons, et donc pour raccourcir je rapporterais mon petit monologue avec ma petite voix intérieure, c'est ça ? Ah c'est sûr ça fait plus court, là, du coup.
- …
- …

Pour le reste, donc, si je puis me permettre, Kolyma est un roman réellement prenant, impressionnant où, une fois de plus Tom Rob Smith n'emprunte pas les voies de la facilité thrilleristique.

-T'invente des mots maintenant ?
-Ouste !

La force de Kolyma tient autant à la reconstitution historique – il faut lire les passages sur la vie en Russie à l'époque, sur le goulag, sur le soulèvement en Hongrie pour s'en persuader – qu'à son scénario et à la façon dont ses personnages s'y intègrent.

Tom Rob Smith livre une histoire dure, cruelle dans laquelle se posent des questions pertinentes sur le fondement de l'Histoire. Des questions où se croisent les notions de vengeance et de réparation des fautes, sur la force de l'engagement et des événements qui la mettent en branle.

Kolyma, Tom Rob Smith, traduit de l'anglais par France Camus-Pichon, Pocket, 512 p.

13/04/2011

Losers-nés / Elvin Post

Les histoires de drogue, de gangs et tutti quanti, ce ne sont pas celles que j'affectionne particulièrement. Pour autant, ça ne veut pas dire que je n'en lis jamais, d'autant que certaines personnes ont le chic pour m'emmener explorer des pistes sur lesquelles je n'aurais jamais imaginé m'aventurer. C'est un peu comme au ski, si vous voulez. Vous voulez rester sur une verte, allez une bleue à la rigueur, et il y a toujours quelqu'un pour vous faire emprunter une rouge.

Si, si, tu verras, c'est une bleue, y'a peut-être un petit tronçon en rouge mais rien de bien méchant.

Et là, patatras, une fois arrivé sur ledit tronçon qui s'avère être une autoroute inclinée dont vous ne voyez pas le bout, plus question de reculer. S'offrent alors quatre solutions, dont une ne relève pas de votre seule volonté :

1. Vous dévalez la piste complètement crispé.
2. Vous dévalez la piste complètement crispé dans un nuage de neige.
3. Vous déchaussez de votre propre chef.
4. Vous prenez sur vous et descendez la piste avec aisance, en proie à des sensations inouïes qui vous donneront envie de recommencer.

Pour ce qui est de Losers-nés, loin d'être un livre vertigineux, j'ai opté pour la troisième solution. Principalement parce qu'on est dans le registre de la comédie policière et que je n'ai pas trouvé ça très drôle – mon manque d'humour me perdra, je le sais -, et que ça m'a semblé bien mal fagoté.

Qu'est-ce qu'on a là-dedans au juste ? Une ville, Manhattan où Roméo Easley a lâché son activité de guetteur au service du caïd du coin, Sean Withers, pour finalement se mettre à vendre des magazines d'occasion en pleine rue. Quand on découvre le personnage, on se dit qu'il a bien fait. Doté d'une naïveté sans commune mesure, on se doute bien qu'il n'aurait pas fait long feu dans le milieu. Roméo vit dans un appartement minable avec sa mère et son frère, lequel vient tout juste de sortir de prison pour replonger presque aussitôt dans le trafic. Pour ce faire, il est guidé par Sean Withers, très soucieux des retombées que pourrait avoir l'arrestation de l'un de ses transporteurs sur la pérennité des ses affaires.

Le découpage de Losers-nés m'a plus d'une fois laissé perplexe. Il y a beaucoup de personnages en très peu de temps. On en perd certains de vue pendant un moment pour les retrouver ensuite sans qu'on s'y attende vraiment alors qu'on les a presque oubliés. Le tout est d'une lenteur incroyable et l'histoire, pas passionnante pour deux sous, ne décolle jamais. Comme je n'ai pas su non plus déceler l'humour prêté à cet ouvrage, je préfère oublier et passer à autre chose.

J'ai déjà la minerve, là, à l'instant où j'écris ces lignes. Au cas où...











Losers-nés, Elvin Post, traduit du néerlandais par Hubert Galle, Seuil (Seuil Policiers), 304 p.

06/04/2011

Dôme / Stephen King




















Ça aurait pu être pire. Entendez par là que le roman aurait pu être beaucoup plus long. Ce n'est pas moi qui le dis, c'est Stephen King lui-même, dans la note qu'il a pris l'habitude de laisser en fin d'ouvrage à l'attention de ses lecteurs. En évoquant sa directrice littéraire, il écrit en effet qu'elle a « transformé le livre, du dinosaure qu'il était à l'origine, en un animal d'une taille légèrement plus acceptable. »

Cette remarque n'a pas manqué de m'interroger au regard du principal défaut dont souffre le dernier opus du maître de l'angoisse : sa longueur. Un tel livre aurait-il été édité en l'état si un auteur débutant l'avait soumis à un éditeur ? Je ne suis pas sûr.

Cette longueur est ici imputable à des détails incessants et malheureusement dispensables qui cassent régulièrement le rythme de l'histoire. Et pourtant, je fais partie de ceux qui pensent en général que c'est justement le souci de ces détails qui participent du plaisir que l'on peut avoir à lire Stephen King. Avec un rien, l'ambiance est campée, les personnages deviennent vivants, accessibles et... proches, en quelque sorte. Mais trop, c'est trop, et dans Dôme, il n'y a que la première partie qui convainc, celle où King plante le décor avec l'efficacité qui le caractérise et où le phénomène ne se fait pas, encore, trop sentir.

L'idée, celle d'un dôme (1) coupant subitement les habitants d'une petite ville du Maine du reste du monde, n'est pas nouvelle. Ella a cependant le mérite d'intriguer, ne serait-ce que pour savoir comment elle va être abordée. En ce qui me concerne, elle a donc rempli toutes mes attentes dans la première partie, mais le bavardage a eu raison de ma patience, au point de perdre toute empathie pour les personnages, de ne plus m'intéresser aux impacts engendrés par le Dôme sur la ville, prisme de notre planète soumise à la pollution et au réchauffement climatique. Et pour ceux qui se poseraient tout de même la question, oui, je suis allé jusqu'au bout – en m'octroyant quelques séances de lecture rapide - pour savoir. J'ai finalement lâché le livre sur un « tout ça pour ça » qui en dit long...

(1) : la bande dessinée Girls de Joshua et Jonathan Luna ou même Mystérium pour l'idée d'une ville coupée du reste du monde.


Dôme 1 et 2, Stephen King, traduit de l'américain par Olivier Desmond, Albin Michel, 640 et 565 p.
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